Seconde hypothèse

Les réseaux décentralisés sont un moyen de travailler au niveau éthique

Ceux qui objecteraient que l'on peut toujours créer d'autres médias sur le même modèle que ceux qui dominent actuellement se trompent : si trois étudiants, un serveur et un garage suffisent à créer Facebook alors que Facebook n'existe pas, il faut la puissance de la Silicon Valley pour créer un nouveau Facebook alors que celui-ci existe déjà. Des acteurs dominants comme Google ont eux-même échoué (Google+), nombre de ceux qui ont réussi n'ont pas résisté à une absorption ultérieure (Instagram), les concurrents en place ont tous des modes de fonctionnement similaires (Twitter, Snapchat), sans possibilité de réelle gouvernance (éthique ou technique) par les utilisateurs.

Ceux qui pensent qu'il est impossible de faire autrement se trompent également. Les médias sociaux décentralisés et ouverts (regroupés sous le terme de fediverse, dont les réseaux Mastodon, Diaspora ou Peertube sont des avatars) ont construit une alternative qui fonctionnent, modestement mais manifestement. Mastodon, à titre d'exemple comportait en 2018 1,5 million de comptes et 4000 instances fédérées (https://framablog.org/2018/12/06/framasoft-les-chiffres-a-connaitre).

Le principe du fediverse, largement ancré dans la culture du logiciel libre et des standards du web, est le suivant :

- un logiciel libre possède les fonctions permettant de créer un réseau social : inscription d'utilisateurs, production de contenu par les utilisateurs, interactions entre les utilisateurs (cadre technique local et cadre éthique implicite) ;

- un serveur permet d'héberger une instance de ce logiciel (réseau social local) et donc d'en fixer une version et d'y associer ses CGU (cadre éthique local explicite) ;

- un protocole ouvert (documenté et connaissable par tout le monde) et standard (qui dispose d'un processus de négociation ouvert à tout le monde) permet aux différentes instances d'interagir entre elles pour former un réseau de réseaux : ce protocole est un cadre technique global (explicite) qui embarque une éthique globale (implicite).

Notre seconde hypothèse est que les médias sociaux décentralisés proposent un cadre technique qui rend possible l'élaboration de cadres éthiques divers et appropriables, et donc un moyen de « bien vivre » en réseau, selon la définition que l'on se fait de ce « bien vivre » .

Exemples de règles locales d'instances décentralisées

- instance ouverte : règles de modération limitées au respect de la loi, en dehors de cela chacun fait ce qu'il veut

- instance arbitraire : les modérateurs font ce qu'ils veulent

- instance "safe" : interdiction de tenir des propos à caractère misogynes et/ou racistes et/ou anti-LGBT, même s'ils ne tombent pas sous le coup de la loi

- instance fermée : participation par co-optation et co-exclusion

- page d'accueil LIFO : les contenus sont présentés en fonction de leur date de publication

- moteur de recommandation explicite : je choisis si je veux des recommandations et sous quels critères (i.e. notoriété, notoriété inverse, similarité de contenu, "bulle" personnelle, etc.)

- ...